Enquête posthume



C’est la rentrée ! Ca l’est pour les écoliers de France et de Navarre comme pour un certain nombre d’œuvres chez Galerie Anna-Tschopp. Sont arrivés en premier deux tableaux de Bernard Morteyrol dont l’un a déjà fait notre vitrine du 14 au 21 septembre. Il s’agit d’un format carré très particulier dans l’évolution du travail de l’artiste. Il nous a fallu faire un certain nombre de recherches iconographiques pour arriver à le situer. Non pas chronologiquement car il est daté mais filialement. Tout lecteur intéressé pourra s’en informer ici. Le second est plus facile à intégrer dans l’œuvre du peintre. C’est un tableau de 1976 de grand format (97 x 146 cm), titré «Intervalle 10» qui appartient à la série «Portrait – Autoportrait». A l’époque Bernard Morteyrol, comme beaucoup d’autres artistes s’intégrait dans ses peintures, ces dernières faisant en sorte office de journal intime. Mais avec le temps les témoins  disparaissent et, faute de consignation des évènements par ces derniers les œuvres se retrouvent progressivement réduites  à leur manière et surtout sans leur histoire. Dans le cas de «Intervalle 10» nous avons eu beaucoup de chance. A partir d’une œuvre dont nous ignorions jusqu’à l’existence même et qui nous intéressait en tant que tableau très représentatif du style du peintre à cette époque, nous avons pu reconstituer une «tranche de vie» et même éclairer une facette de la personnalité de l’artiste. En effet la collectionneuse qui nous a proposé le tableau était une amie de vieille date de Bernard Morteyrol puisqu’elle le connaissait depuis 1964. Elle a pu ainsi nous renseigner sur certains tenants et aboutissants de l’œuvre. A gauche en bleu se trouve une femme enceinte que l’on retrouve dans un autre tableau de cette série nommé «Marie Josée» et qui n’est autre que l’épouse de l’artiste. Le visage du petit garçon épinglé sur le mur est celui de son fils Igor, né en 1972. Le personnage masculin dont le visage est coupé par le cadrage est très probablement Bernard Morteyrol, acteur clef de l’histoire mais qui interviendrait ici «incognito». Supposition de présence étayée par l’intitulé générique de la série à laquelle appartient l’oeuvre. La jeune femme à droite serait une collègue de chez «Disney» qui ne serait autre que sa maîtresse de l’époque. On peut légitimement s’interroger sur l’intérêt de l’artiste à joindre sur une même pièce sa famille et sa maîtresse. Il s’agit probablement ici de l’illustration de la technique de dissimulation par l’évidence qu’affectionnait particulièrement Bernard Morteyrol. Il nous avait en effet avoué un jour n’avoir jamais été très fidèle et avoir toujours protégé ses incartades par des vérités si grosses que personne ne les croyait. Représenter sa maîtresse sur la toile revenait donc à répondre à la question «Qui est cette femme ? » par « Ma maîtresse !». Affirmation extravagante qui selon lui éteignait toute suspicion. On peut à ce sujet remarquer en indice supplémentaire que tout ce qui concerne la famille officielle est en bleu alors que la partie officieuse ne l’est qu’à moitié. «Intervalle 10» prend son titre des deux dates distantes de 10 ans qui y figurent. 1975 est l’année de naissance de la fille de Bernard Morteyrol. Toutefois au 13 août celle-ci n’était pas encore arrivée, ce qui fonde que la flèche de légende vise le ventre de sa mère. La date qui seule justifie l’exactitude arithmétique du titre, ne peut donc être que le 13 août 1965. Mais la souvenance s’estompe déjà et personne n’a pu nous confirmer à quel évènement correspondait cette date. Même l’ancienne propriétaire du tableau n’en a plus un souvenir exact. Par rapprochement il se pourrait qu’elle ait trait à celle du mariage d’une certaine « Colette », objet à l’époque d’un amour non partagé  dont l’artiste aurait beaucoup souffert. Hypothèse qui pourrait s’avérer exacte si on en juge par ce prénom qui réapparait trente ans plus tard dans un titre de la série mémorielle « Même que je me souviens de… » « Colette ». Cependant s’agissant d’un souvenir on ne peut plus personnel, seul Bernard Morteyrol, aujourd’hui décédé, aurait pu valider cette présomption. Il en ressort que le titre « Intervalle 10 » conserve entière sa part de mystère puisqu’il est impossible de borner significativement l’espace qu’il définit. Mais si finalement ce secret demeurait subsidiaire ? A-t-il été le réel propos de l’oeuvre ou simplement son prétexte ? Si le tableau retrace un état de la vie de son auteur en 1976 il existe essentiellement pour lui-même au présent. Son histoire pour générative qu’elle soit n’en est plus aujourd’hui que l’écume.




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