En avoir ou pas



Les quatre œuvres que nous ont empruntées le musée de Lindenau sont arrivées en Thuringe.  Il s’agit de fait de quatre autoportraits réalisés au début des années 60, trois huiles sur toile ou bois et une technique mixte sur papier. Les curateurs allemands ont a priori choisi de s’orienter vers les autoportraits de Sergio Birga. Il faut dire que le genre est prépondérant dans son œuvre et qu’il en a réalisé tout au long de sa vie. Il apparait ainsi très souvent sur ses toiles et dans ses dessins, soit dans le cadre d’un classique autoportrait, soit parmi d’autres en tant que participant de la scène. Mais il s’affiche aussi fréquemment au dos de ses toiles sous forme d’une esquisse en complément de sa signature. L’autoportrait traverse ainsi toute sa carrière partant de l’expressionnisme extrêmement violent de ses débuts pour aboutir à celui, beaucoup plus apaisé de la fin de sa vie ; en passant bien évidemment, au fil du temps, par le «Réalisme magique» de la «Nouvelle Objectivité» ou la période dite «Peinture Cultivée». L’inventaire, réalisé à l’occasion de ce prêt, des œuvres dont nous disposons nous a remis en conscience que nous avions largement de quoi monter une exposition de grande ampleur. Nous détenons la plupart des œuvres de 1967 portant sur la guerre du Vietnam à l’exception de «Totentanz», toile qui fait désormais partie des collections du musée des Invalides à Paris. Il en existe peut-être et même probablement d’autres mais disséminées Dieu sait où donc inaccessibles. L’atelier de l’artiste est quant à lui vide de cette série depuis que celui-ci nous a confié les deux derniers fragments encore en sa possession ; deux bribes de toiles lacérées pour délit de non-conformité à l’orthodoxie de sa chapelle politique de l’époque. Ces vestiges font toutefois fortement regretter le sacrifice idéologique des originaux dont les photos laissent deviner l’intérêt qu’elles auraient pro-bablement suscité. Des années ’60 Galerie Anna-Tschopp détient aussi quelques dessins à l’encre de Chine dont un «Totentanz» pour qui la proximité avec la toile du même nom est si forte que nous ne saurions dire s’il en est une étude ou une copie. En 2012 Galerie Anna-Tschopp a organisé une exposition dénommée «Dessein littéraire» et composée en majorité de dessins. Ceux-ci explorent des textes de Frantz Kafka, de Boris Vian, d’Edgar Poe et d’au-tres pour en exploiter la veine fantastique transposée dans un univers graphique contigu à celui des films européens de Fritz Lang. Nous en montrerons quelques-uns qui nous paraissent mériter de sortir de leurs réserves. Si nos murs nous y autorisent nous extrairons aussi de notre resserre une ou deux gravures de la même veine. et des sérigraphies très politisées. Sur un plan stylistique les critiques ont souvent souligné les similitudes des travaux de Sergio Birga avec ceux de ses « influenceurs ».  Parmi ceux-ci une mise en lumière particulière est accordée aux expressionnistes avec lesquels il a collaboré dans sa jeunesse. L’un le trouve ainsi inspiré par Conrad Felixmüller, l’autre par Otto Dix et un troisième lui prêtera des accointances avec George Grosz. Cependant si chacun croit voir en lui autant d’influences diverses c’est peut-être qu’empruntant à beaucoup il ne copie personne et qu’au final, inclassable, il demeure immuablement lui-même. C’est malheureusement une facilité critique de plus en plus répandue que d’étayer une prise de position personnelle, donc par nature hypothétique, en l’adossant à une appro-bation universelle. Sergio Birga vaut mieux que d’être abordé comme un disciple ou un simple suiveur. Si d’ailleurs on envisage le sujet sous l’angle de la valeur on ne peut exclure de cette dernière une composante financière. Le propos est inconvenant, nous le concédons. Mêler art et argent est indigne mais s’il est d’usage d’annoncer acheter ou collectionner par plaisir, qui, dans ses critères de choix, n’envisage jamais une possible plus-value ? Pour les aventuriers de la spéculation, variété à laquelle Galerie Anna-Tschopp ne dédaigne pas toujours d’appartenir, Sergio Birga est un support idéal. Identifiable par la facture et bénéficiant d’une histoire consignée il dispose des deux facteurs indispensables pour opérer un jour un retour gagnant ; d’autant plus gagnant par ailleurs que ses prix sont encore actuellement très modérés, voire ridicules.  Et si l’avenir décidait de ne pas le confirmer il resterait tout de même aux possesseurs de ses œuvres de remarquables travaux dont l’acquisition ne les aura financièrement pas mis en danger. Un pari sans véritable enjeu décrieront les tenants du désengagement systématique. Pour ces derniers et les lecteurs que ce discours iconoclaste pourrait choquer nous rappellerons simplement  une observation sociale toujours actuelle de Jean de La Bruyère : « Si le financier manque son coup, les courtisans disent de lui : c’est un bourgeois, un homme de rien, un malotru ; s’il réussit, ils lui demandent sa fille ».



Prochainement visibles au musée de Lindenau :




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