Ce n'est pas notre faute !



Galerie Anna-Tschopp adore les histoires de faussaires. Elles sont révélatrices de l’état du marché et dans le cas qui nous occupe aujourd’hui de l’état de l’Etat. Le personnage clef en est un expert réputé. Erudit, incollable sur le mobilier français 18ème, noctambule, menant grand train, il porte beau son look de banquier poète, costume trois pièces et cheveux longs. Bref tout droit sorti d’un roman de Balzac ou de Zola l’homme présente toute la séduction à laquelle ne saurait résister le Tout-Paris de l’art. A son procès il dira pour sa défense qu’il a agi par vanité plus que par lucre ;  quoique cette activité clandestine lui ait apparemment été de quelques profits. Cependant dans cette histoire le plus intéressant n'est pas l’arnaqueur mais les arnaqués. Qui sont ces derniers ? Des galeries internationales, des institutions dont le Château de Versailles ! Pourquoi se sont-ils faits rouler ? Parce qu’ils n’ont pas fait leur boulot ! Plutôt que de juger par eux-mêmes ils ont préféré se reposer sur des réputations, s’abriter derrière des avis d’experts qu’ils sont pourtant supposés être aussi. Au procès les mêmes, argueront qu’ils ont été abusés et, assurant que leur bonne foi ne pouvait être mise en question, pousseront l’indignité jusqu’à demander réparation de leurs manquements. Mais si, selon eux, leur bonne foi ne peut être mise en question, leur compétence peut l’être un peu plus et leur professionnalisme totalement. Mais revenons à notre histoire. Notre dandy à l’expertise incontestée se convainc un jour que celle-ci lui permet de s’affranchir de la loi commune et de mystifier des confrères dont les exigences professionnelles ne seraient pas assez strictes. Il prend alors pour cheville ouvrière de son projet un ébéniste de très haut vol, meilleur ouvrier de France, et lui commande plusieurs copies de meubles, plus exactement de chaises. Reprenant les techniques de l’époque les deux compères fabriquent des sièges sur lesquels Louis XV se serait probablement volontairement assis du temps de leur jeunesse factice. Cependant le principal challenge pour un faussaire n’est pas le faux en lui-même mais sa mise sur le marché. Le mystificateur a manifestement étudié la question et s’oriente donc vers des objets qu’il sait inventoriés mais officiellement perdus. Pour aiguiser les convoitises il les choisit à fort pedigree, royal si possible. Il suffit alors de les faire réapparaître, leur come-back inespéré privant de toute lucidité les acheteurs potentiels. Mais le retour à la vie d’un disparu n’est pas chose aisée. Alors que pour un tableau le «jusqu’alors inconnu» nait de sa découverte dans un grenier appartenant à l’arrière-arrière-petite-fille-de-la-logeuse-d’un-jour-du-créateur-désigné, la résurgence est beaucoup plus difficile à faire accréditer pour un objet référencé. Le tour de magie est dans ce cas bien préférable à une historicité bancale. «Il a disparu par ici, il réapparaitra par là". Cependant notre prestidigitateur connait trop bien son public pour ne pas faire sortir ses lapins de n’importe quel chapeau. Ses contrefaçons ressurgissent chez de très grands antiquaires parisiens ; où lors de ventes aux enchères internationales. De là elles prennent ensuite la direction de collections publiques ou privées prestigieuses dont celles du Château de Versailles. Affaire bien ficelée, mais somme toute banale, qui ne prend vraiment tout son sel qu’au moment du procès. En effet il faut savoir que tous n’avaient pas été bernés. Un autre expert, également très reconnu, avait signalé ces faux à la direction de Versailles mais sans que les intéressés ne s’en inquiètent plus que ça. C’est au final «Tracfin» qui, dans le cadre d’une enquête de blanchiment, lancera la procédure judiciaire. Le fait qu’un expert ait vu implique qu’il était pour les autres possible de voir. Une cécité collective qui jette le doute sur la compétence et, par là, la fiabilité d’une profession qui a pourtant le pouvoir exorbitant de trancher du vrai ou du faux. Au procès, pour tenter de se dédouaner, tous les incriminés ont clamé que leur seul tort était d’avoir cru en des réputations inattaquables. «Ce n’est pas ma faute» est certes un justificatif célèbre de la littérature française, mais après l’avoir utilisé fallacieusement Monsieur de Valmont a l’élégance de se suicider. Que feront nos sachants de l’art mobilier ? Ils continueront comme avant puisque la Justice vient de les absoudre. Ni responsables, ni coupables ! Quid des commissions outrancières des uns ? Quid des marges impressionnantes des autres ? Rien ! Circulez, il n’y a rien à rendre. Galerie Anna-Tschopp se demande pourquoi elle doit justifier de tout à propos d’un virement de quelques milliers d’euros, alors que des conservateurs du patrimoine peuvent s’engager sur des millions sans avoir à vérifier ne serait-ce qu’une provenance. La prochaine fois que nous nous rendrons au Louvre nous irons revoir «Le radeau de la Méduse». Un autre récit qui illustre parfaitement où peut mener un entre-soi mâtiné d’impéritie.



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