Investir dans l'art contemporain : les pièges et les mirages



Investissement dans l’art : état des lieux.

L’époque est à l’investissement. Aujourd’hui on investit dans tout. Dans son logement, dans sa voiture, dans ses loisirs et pourquoi pas dans l’art. Il semblerait pourtant que dans les retours attendus de ces différents investissements plaisir et dividendes soient souvent confondus. En ce qui concerne l’art et plus spécialement l’art contemporain que peut-on espérer d’un investissement ?

 

Contrairement à un investissement dans des actions, des obligations ou de l’immobilier locatif l’art ne donne pas lieu à des distributions. Contrairement à un investissement dans une résidence principale il ne permet pas d’économiser un loyer. Par contre comme tous ces supports d’investissement il peut donner lieu à des plus-values ou des moins-values. L’art est donc un investissement pour lequel le rendement ne dépend que de sa seule prise de valeur puisqu’une œuvre ne produit aucune liquidité. Le profit dans l’art ne dépend que de la différence entre prix d’achat et prix de revente. Son rendement annuel s’exprime dans la division de cette différence par le nombre d’années de garde. L’art possède en revanche de réels avantages sur le plan fiscal.

Il n’entrait pas hier dans l’ISF et n’entre pas aujourd’hui dans l’IFI. Il perd cependant un peu de cet intérêt spécifique puisque actions et obligations sont désormais elles aussi décomptées des biens anciennement soumis à l’ISF. L’art en revanche possède les avantages de ses inconvénients à savoir que ne produisant pas de liquidités il ne peut être taxé sur le revenu de ces dernières.

Pour ce qui est le la TVA celle-ci est réputée comprise dans le prix de vente et payée par le fournisseur. Un acheteur d’œuvre d’art n’a donc pas à se soucier de la TVA sauf s’il achète hors UE. Il devra alors s’en acquitter à hauteur d’un taux de 5,5%.

En ce qui concerne la plus-value il existe deux possibilités. On peut opter pour le régime de la plus-value réelle, c’est-à-dire de la différence entre prix de vente et prix d’achat prouvé. L’imposition est alors 19% + 17,2% du montant de cette plus-value laquelle bénéficie dans ce cas d’un abattement de 5% par année de détention. Si le prix d’achat ne peut-être prouvé ou si le calcul s’avère plus favorable au vendeur celui-ci peut opter pour un impôt libératoire de plus-value établi à 6,5% du montant de la vente.

 

On le voit bien l’art est un placement particulièrement judicieux dans le cas où la plus-value est importante sur une période de détention relativement courte car cette plus-value sera alors peu taxée en regard d’autres actifs plus classiques. Mais est-il pour autant le nec plus ultra de l’investissement financier ?

 

 

Investissement dans l’art : ne pas croire aveuglément ce que disent les professionnels du marché.

Le conseil des professionnels le plus répandu est qu’il faut toujours opérer sur un artiste « coté ». Cet argument rassure généralement l’acheteur qui croit alors intervenir sur une valeur référencée et, par assimilation avec un marché boursier, traitée régulièrement. Or il n’en est rien. Non seulement un artiste, comme une entreprise d’ailleurs, peut « sortir » de la cote mais surtout il n’existe pas de marché de l’art coté sur une place fixe. Il existe des événements récurrents d’une année sur l’autre tels que les foires et les ventes des grands « auctioneers ». Au cours de ces événements sont réalisées et répertoriées des ventes mais tous les artistes sont-ils représentés et « traités » à chaque fois ? Ils apparaissent généralement et opportunément en fonction de leur actualité ou de celles de leurs représentants. Les autres ne sont donc pas cotés par défaut. De ce fait la cotation d’un artiste est par essence aléatoire et surtout discontinue. Les « trous » dans le CV financier sont nombreux. Quant à espérer tirer un enseignement de l’étude des courbes d’évolution de cote il ne peut s’agir que d’une pure fiction. L’étude de telles courbes ne ressort que l’art de prévoir le passé. Il est en effet toujours facile de prendre un point bas et un point haut et d’en déduire une variation pour le moins attractive.

Pour réaliser une transaction, quelle qu’elle soit, il faut une contrepartie. Or pour les raisons exprimées ci-dessus le marché de l’art est un marché peu liquide et principalement dans les mains des vendeurs puisque ce sont eux qui proposent le « disponible ». Tant qu’un vendeur ne se présentera pas sur le marché vous ne pourrez-acheter. Le même marché étant sujet à fluctuations ne croyez jamais non plus un professionnel qui, pour vous conforter dans votre achat, vous affirme qu’il vous reprendra votre acquisition dans quelques mois ou quelques années au prix où il vous la vend aujourd’hui. Ce type de promesse n’est tenue que dans un marché haussier. Dans le cas contraire il vous restera à admirer les prouesses dialectiques mises en œuvre par ce même professionnel pour vous convaincre que ce qui était vrai hier ne peut plus l’être aujourd’hui. La lecture de la fable « Le Charlatan » (fable 19 – livre VI) de Monsieur de La Fontaine est à propos de ce type d’engagement particulièrement édifiante.

Pour établir la santé financière du marché on utilise des statistiques assez particulières. On procède aux sommes algébriques des lots mis en vente et des montants d’adjudications. On effectue ensuite à partir de ces éléments différentes moyennes. Le terme moyennes est ici impropre puisque pour les établir de manière plus « représentative » seuls sont généralement conservés les artistes et les œuvres ayant fait l’objet d’au moins une transaction. Une célèbre entreprise a même mis au point ce qu’elle nomme un indice de l’art, lequel ne prend en compte que les « 100 artistes dont les ventes aux enchères sont les plus régulières et les plus volumineuses ». De cette façon d’une année sur l’autre le panel des 100 artistes peut être différent mais l’indice est toujours établi sur les ventes les plus régulières et les plus volumineuses du « Top 100 » du moment. Galerie Anna-Tschopp serait donc très étonnée si, avec un tel mode de calcul, cet indice, construit non pas sur les gagnants mais uniquement sur les super-gagnants, ne montait pas régulièrement. Sauf évidemment dans l’éventualité d’un crack mondial généralisé. On peut donc à juste titre émettre quelques doutes quant à la fiabilité opérationnelle de ces statistiques qui ignorent les invendus et les déclassés

 

 

Investissement dans l’art : les coûts afférents.

Si vous êtes cependant convaincu d’avoir le « nez » ou d’être très bien conseillé il vous faut tout de même être conscient que la plupart des transactions ont un coût. Si vous achetez chez un marchand ou par l’intermédiaire ces derniers logent leur marge dans le prix de vente. Si vous achetez en salle des ventres, au prix d’adjudication s’ajouteront des frais de l’ordre de 25% auxquels en cas de revente par le même canal vous devrez également vous acquitter de frais du même ordre. Ce qui fait que seule une revente supérieure à une fois et demie le prix d’achat peut vous assurer d’un profit en cas de transaction intégralement réalisée par ce canal. Pour contourner ces professionnels et leur coût vous pouvez bien entendu acheter directement chez l’artiste. Mais dans ce cas vous devez savoir où et comment le joindre. If faut aussi que ce dernier accepte de vendre directement à un collectionneur « privé ». Or beaucoup d’artistes sont en contrats avec leurs marchands ou pratiquent les prix du marché envers une clientèle privée pour sauvegarder leur « cote ».

Enfin il faut conserver à l'esprit que si l’art ne produit pas de liquidités, il en consomme. Principalement sous forme d’assurances, de coûts de mise en valeur ou de stockage.

 

 

Investissement dans l’art : 100% des gagnants ont tenté leur chance.

L'art est-il pour autant bon à fuir dans une option spéculative ? Est-il réservé à une élite d'initiés ? Nous prendrons à titre d'exemple les entretiens radiophoniques de Daniel-Henry Kahnweiler avec Francis Crémieux publiés en 1961. A l'époque le marchand de Picasso et des cubistes avait plus de 70 ans dont 50 d'activité. Autant dire que sans avoir probablement fait le tour de la question il en connaissait sûrement un bon bout sur les us et coutumes du monde de l'art et les motivations de ses divers intervenants. Parmi les sujets abordés lors de ces entretiens il en est un qui sied particulièrement bien à notre propos. Quand l'interviewer fait remarquer au galeriste, au sujet des ventes organisées en 1921 et 1922 sur saisie de ses biens et de ceux de sa galerie au titre des dommages de guerre*, que beaucoup de collectionneurs d'aujourd'hui doivent regretter de n'avoir pas eu 30 ans à l'époque pour pouvoir acheter au tarif «liquidation» des pièces aujourd'hui inestimables en valeur, !'interviewé répond: c'est une illusion. Ils n'auraient rien acheté du tout. Comme les gens qui croient maintenant que s'ils avaient vécu au temps de Cézanne ils auraient acheté des douzaines de Cézanne : Ils n'en auraient pas acheté un seul. Parier après la course par projection dans le passé est confortable car on perçoit les événements d’alors à l’aune des connaissances du jour. La  « nouveauté », dans sa dimension de rupture avec l'existant, ne peut être reconnue comme telle que quand les codes et les moyens de la décrypter ont été mis en place. Les précurseurs sont plus souvent raillés que loués et leurs thuriféraires leur sont généralement posthumes. Pour gagner il faut oser, s’engager et prendre des risques, le plus souvent contre l’avis général. En art comme au Loto, 100% des gagnants ont tenté leur chance.

 

*D.-H. Kahnweiler était à l'époque de nationalité allemande. Il résidait en France et sa galerie était installée à Paris. Mais en raison de cette nationalité et bien qu’il ait déserté son enrôlement dans l’armée allemande, ses biens furent inclus dans les dommages de guerre.